Extrait

Une lune gibbeuse joue à  cache-cache avec les roseaux. Un tanker aux flancs lourds traîne sa carcasse éclairée en plein milieu du fleuve. Il fait frais, un vent pernicieux fouette la surface de l'eau. Et dans ce silence pesant, un hurlement. Comme un hoquet qui se serait tu d'un coup. D'un seul coup. Puis, plus rien. Seul, le souffle lointain du bateau qui reprend sa respiration. Il peine à remonter le courant vers Bordeaux.

Enfin, un "floc" surgit des berges plongées dans une obscurité tenace. La lumière blafarde d la lune s'est retirée derrière un brouillard naissant. Devant moi, la silhouette décharnée d'un vieux ponton de pêche semble suspendue au-dessus des eaux. L'ombre du filet s'effiloche sur une marée de vase compacte. Une odeur fétide agace mes narines. Qu'il est étrange de se trouver au bon endroit, au bon moment ! Je regarde mes mains poisseuses et les éponge rageusement dans l'herbe mouillée. Je ne réalise pas encore. Dans la nuit si noire, deux couleurs distinctes se mêlent : le vert cru des roseaux, le rouge vif du sang...